Revenir

De retour à Paris après un court instant au vert, et je me souviens comme à chaque fois à quel point cette ville est intense. A quel point elle pousse à la réactivité, aux humeurs impulsives - à la tentation du retrait. 

Je suis née ici et j'y vis depuis 41 ans.  J'oublie vite. 

Aujourd'hui Paris me tend ce miroir et je me rappelle les mots de Enkyō Pat O'Hara, la fondatrice du Village Zendo à New York, quand un journaliste lui a demandé un jour:  "So what is your practice ?"

"Manhattan is my practice."

Le journaliste attendait sans doute une description de sa méditation, de sa philosophie. Nous aussi, traçons inconsciemment ce cercle autour de ce qu'est « notre » pratique. Ce moment où on décide qu'on y est, qu'on s'en donne le temps - de préférence chez nous ou dans un beau studio au calme, avec des gens qui nous ressemblent.

"Manhattan in my practice." Paris est ma pratique.

Aujourd'hui, jour de métro et de travaux, je m'observe avec vigilance et bienveillance. Le pas pressé. La voiture qui passe au rouge. Deux mecs de la rue qui s'engueulent de bon matin. Le plexus qui se serre et le visage qui se ferme. Les pensées à 1000 à l'heure. 

Mes réactions initiales sont normales. Je sais comment me donner le choix d'une autre manière d'être à tout ça, pourtant je cède souvent au stress et à l'agacement. Mais je sens aussi à quel point cette version de moi m'épuise, et comme - à l'usure, je suis têtue - j'ai de moins en moins envie de m'y accrocher. 

Je sens qu'elle serait prête à capituler, ici et maintenant, et que c'est une très bonne chose. Que le fil auquel elle tient est peut être un savasana, peut être un marteau-piqueur.

Et j'aurais presque un instant de gratitude pour cette ville qui a encore tellement à m'apprendre. 

Alors un petit mot d'amour particulier pour celleux d'entre nous qui tentent d'incarner autre chose dans la ville et le béton, qui continuent d'accepter de leur appartenir et de s'y engager, de quelque manière que ce soit : votre stress est normal, votre réactivité est normale. Pardonnez vous, revenez, et continuez

L'avantage ici, c'est que nous ne sommes pas si loin les un.e.s des autres.

Juliette de Cointet