Présente
J’ai récemment vu passer ces mots sur les réseaux , d’une personne assez publique dont je garderai l’anonymat.
Il y a quelques années, j’aurais pu les laisser passer. Ils auraient même pu me réchauffer le coeur. Mais en les lisant aujourd’hui, beaucoup d’émotions se sont entrechoquées.
De l’empathie, parce que ce sentiment m’a habitée pendant longtemps. De la tendresse, car parler de tout ça est courageux - et de la joie, car nos questions de santé mentale commencent à ne plus être taboues et honteuses. Mais aussi, un besoin urgent d’aller plus loin, parce que ses pensées s’arrêtaient là - et que ça me paraît aujourd’hui beaucoup trop triste et incomplet.
Je connais très personnellement ce sentiment.
Ce besoin désespéré de mettre un couvercle sur mon expérience. De ne pas ressentir les choses sans avoir envie de les engourdir, de les intensifier, de les accélérer, ou de les mettre en boîte.
Cette soif insatiable et surtout incapable de remplir un trou béant et vertigineux - parce que c’est tout simplement impossible. On est une écrasante majorité à se reconnaître dans ces témoignages parce c’est notre tendance de vouloir mettre nos vies à distance. On le fait tou.te.s. C’est humain et c’est normal.
En méditant, j’ai fini par faire la connaissance d’un autre sentiment. Je l’ai apprivoisé doucement jusqu’à ce qu’il accepte de s’installer, pour de bon.
Rester avec ce qui est,
même quand ça semble impossible.
Sans couvercle, sans rien.
Il y a 15 ans, je n’aurais jamais cru en être capable. Je pensais que ces “autres” personnes et moi étions trop différentes. Pas la même vie, pas le même ADN. Pas la même chance. Aujourd’hui, c’est ce dont je suis le plus fière, et surtout, ce dont j’ai le plus appris.
Rester avec ce qui est, et s’asseoir là où on est, pouvoir enfin cesser de courir et de se battre :
“The only way through is through.”
Dans notre monde dispersé et abîmé, tout incite à faire autrement: tout nous pousse vers notre prochain verre, cachet, écran, achat, shoot de sucre, match, scroll insta, binge netflix.
Nous savons tou.te.s très bien comment nous anesthésier et comment nous absenter. Ce refus et cette peur de ressentir, c’est toute la différence entre un plaisir sain, une béquille bienvenue et bénéfique - et une fuite en avant. L’objet importe peu. Car on peut également très bien sauter d’une posture de yoga à une autre pour éviter d’être dans nos vies (j’ai essayé : ça ne marche pas non plus).
Cette soif et cette fuite sans fin, les textes bouddhistes l’appellent tanha. C’est la racine de notre souffrance, notre rocher de Sisyphe - et quand ils parlent de libération, c’est d’elle qu’ils nous parlent.
Savoir rester et ne plus fuir est le plus beau cadeau que m’a fait la pratique: une force et une confiance que je n’échangerais contre rien au monde.
Pour revenir à ce témoignage - oui, c’est ce qu’on nous apprend à faire (et oui il y a des plaisirs sains et des aides passagères bien sûr, mais ici je parle d’autre chose).
NON, ça n’est pas la seule issue. Et c’est important de le dire, et d’y croire.Apprendre à apprivoiser tout ça, c’est dur mais c’est empouvoirant comme rien d’autre.
C’est plein de résistance, dans une culture qui compte sur notre manque pour vendre et pour produire, et sur notre docilité pour le faire vite et mal. C’est plein d’espoir, dans un monde qui a besoin de notre présence.
Cette énergie qu’on met à s’absenter, si on l’utilisait pour apprendre à vivre nos vies ? Cette énergie qu’on met à s’engourdir, si on l’utilisait pour guérir ?
Ne nous laissons pas dire que nous n’en sommes pas capables. Nous avons des pratiques, et elles ne parlent que de ça : être radicalement présent.e.s, habiter nos vies et nos corps.
Aujourd’hui, c’est sans doute ce qu’on peut faire de plus beau et de plus courageux.
Et surtout, c’est possible.