Nos cabanes

« Faire des cabanes : imaginer des façons de vivre dans un monde abîmé.

Trouver où atterrir, sur quel sol rééprouvé, sur quelle terre repensée, prise en pitié et en piété.

Mais aussi sur quels espaces en lutte, discrets ou voyants, sur quels territoires défendus dans la mesure même où ils sont réhabités, cultivés, imaginés, ménagés plutôt qu’aménagés.

Pas pour se retirer du monde, s’enclore, s’écarter, tourner le dos aux conditions et aux objets du monde présent. Pas pour se faire une petite tanière dans des lieux supposés préservés et des temps d’un autre temps, en croyant renouer avec une innocence, une modestie, une architecture première, des fables d’enfance, des matériaux naïfs, l’ancienneté et la tendresse d’un geste qui n’inquiéterait pas l’ordre social…

Mais pour leur faire face autrement, à ce monde-ci et à ce présent-là, avec leurs saccages, leurs rebuts, mais aussi leurs possibilités d’échappées. »

Marielle Macé - Nos cabanes

Ce monde-ci et ce présent-là sont au coin nos rues, au pied des cabanes de nos corps et de nos attentions. Se retirer du monde, c’est sans aucun doute, se retirer de la vie.

Il n’est plus temps de creuser nos tanières dans les grottes de l’Himalaya, ou de nous recroqueviller dans nos pratiques comme dans des bunkers qu’on voudrait imprenables.

Pendant longtemps j’ai tenté de me hisser sur un nuage de bien-être dont j’espérais ne jamais redescendre. Avec le « bon » yoga, la « bonne » respiration, la « bonne » équation, j’attendais d’être récompensée pour mes efforts méritants, par cette insouciance perdue qui finirait bien par revenir - quoi d’autre ?

« Le monde ouvert à ma fenêtre

Que je referme ou non l'auvent

S'il continue de m’apparaître,

Comment puis-je faire autrement ? »

Chantait Jean Ferrat : lui aussi, déjà, dans un monde abîmé.

Aujourd’hui, je ne rêve plus de fenêtres blindées. Sur un sol instable, je construis une cabane capable d’amortir les secousses. J’adoucis le geste et la pensée.

Je ne rêve plus d’un monde sans souffrance - mais d’une énergie résiliente et capable de servir nos vies et nos possibles.

Qui serait, bien plus que l’insouciance, la clé de nos libérations.

Juliette de Cointet