No pain no gain ?

Comment j'ai cessé de valider la culture du "no pain no gain"

Cette année a été difficile pour moi nerveusement et physiquement. Je me suis donc « autorisée » des pratiques plus douces, et la recherche exclusive du confort et du plaisir dans le mouvement: il n'y avait, tout simplement, pas de place pour autre chose.

Peu à peu, en regagnant de l’énergie et en me tournant à nouveau vers des postures plus exigeantes, j'ai senti qu’elles avaient « progressé » pendant le temps où j'avais l'impression de ne pas les « travailler » : des espaces s'étaient ouverts dans cette douceur. J'étais récompensée pour avoir respecté ma zone de confort et presque surprise d’avoir des « résultats » sans en payer le « prix ».

J'ai toujours été méfiante de la culture du dépassement de soi et de la justification de la douleur en cours: dans cette intensité, compliqué de cultiver le discernement (viveka) ou le juste équilibre entre produire et recevoir (sthira-sukha). La pratique advient dans la rencontre de nos saines limites, mais c’est justement notre relation à celles-ci qu’il est bénéfique de travailler.

A-t-on vraiment envie d’intérioriser l'injonction à la performance et au « travail » sur soi dans une pratique de bienveillance, de non violence, d'introspection et de nuance ?

Comment en est-on venu.e.s à croire que c’est ok et normal de se blesser pour atteindre une posture ? Que ça fait partie des « accidents » et des risques acceptables en yoga ?

On juxtapose un stress physique, mental, nerveux et émotionnel sur une pratique censée servir notre bien-être. Ce stress est réel et le corps se sent menacé, en réflexe de fuite ou combat, quelle que soit l’histoire qu’on se raconte mentalement. Pour nous et nos élèves qui cherchons simplement un safe space où explorer, ressentir et apprendre, c’est dangereux.

En tolérant ce stress dans un espace auquel on confie notre corps dans notre recherche de bien-être, on crée un décalage quotidien et brutal entre notre intention et notre expérience. Ce décalage nous met en état de dissonance cognitive, qui brouille nos signaux les plus élémentaires à un niveau inconscient et viscéral. So long, écoute et connaissance de soi...

Cette légitimation de la violence envers nos propres corps n’est pas seulement néfaste dans la pratique: elle l’est aussi et surtout en dehors des tapis, pour notre intelligence relationnelle et émotionnelle. Pourtant, c’est bien là que nous vivons notre vie et que notre pratique résonne dans nos interactions: préférons la culture du consentement à celle de la performance.

On peut continuer à cultiver tapas (la rigueur, l'effort et l'intensité de la pratique) en faisant la différence entre un étirement, un inconfort à apprivoiser... et un red flag. La ligne entre « dépassement de soi » et renforcement de l'ego est fine: cette intensité à tout prix peut vite desservir notre capacité à être pleinement présent.e.s et à suspendre le flux de notre conversation.

A partir de quand est-ce qu’on confond le fond et la forme ?

Quelle est cette partie de nous qui ignore les signaux du corps ? Quelle histoire raconte-t-elle ?

Dans un monde productiviste, c’est radical d'oser être doux avec soi-même et de respecter l’intelligence du corps: faisons lui confiance.

Juliette de Cointet