L'espace des possibles

 Vos adversaires aimeraient que vous croyiez qu’il n’y a plus aucun espoir, que vous n’avez aucun pouvoir, qu’il n’y a aucune raison d’agir, et que vous ne pouvez pas gagner.

Nous vivons une période pleine de mouvements vitaux et transformateurs. C’est aussi une période cauchemardesque. Pour y être pleinement engagé.e.s, nous devons pouvoir percevoir ces deux extrêmes.

Il est important de dire ici ce que l’espoir n’est pas : il n’est pas la croyance que tout a toujours été, va, ou ira bien. Les preuves se dressent, tout autour de nous, d’une immense souffrance et d’une immense destruction.

L’espoir se love dans les prémisses de l’incertitude : nous ne savons pas ce qui va se passer, et dans l’espace de cette incertitude, il y a la possibilité d’agir. Quand on reconnaît cette incertitude, on y voit aussi notre fenêtre d’influence : une fenêtre qui peut être la vôtre - que vous soyez seul.e, épaulé.e d’un petit groupe, ou de quelques millions de personnes.

Espérer, c’est embrasser ce que nous ne savons pas et ce que nous ne pouvons pas savoir.

C’est le contraire de la certitude des optimistes et des pessimistes. L’optimiste croit que tout finira naturellement par aller bien. Le pessimiste croit le contraire. Les deux ont de très bonnes excuses pour ne jamais agir.

Espérer, c’est croire que nos actions et nos choix comptent, même si nous ne pouvons pas savoir à l’avance quand et de quelle manière, ni sur qui ou sur quoi elles peuvent avoir un impact.

Rebecca Solnit

Ces mots parlent à nos colères et nos découragements.

Ils parlent, surtout, à notre vigilance.

Quand nous baissons la garde, à qui rendons nous nos armes et notre pouvoir ?

Quand nous éparpillons notre attention, quand la tourmente de nos affects brouille notre discernement,

à qui profite notre confusion ?

Ces “adversaires” ne sont pas des ennemis à abattre : c’est un système à désarmer.

Celui qui profite de notre désespoir et de notre impuissance pour dérouler le business as usual de la course au profit, des guerres et de la destruction du vivant.

Ce système nous traverse. Il nous raconte les récits de fatalité et de discrimination que nous finissons par croire. Il prospère avec l’atrophie de nos imaginations, et avec chacune de nos paralysies qui confinent à l’implosion .

Chaque parenthèse ouverte entre nos pensées, chaque page vierge des vieilles certitudes, chaque respiration dans la spirale de nos monologues, nous restaure et nous rend au monde.

Embrasser l’incertitude comme une alliée là où il y a tant à défendre, à protéger et à guérir, c’est ouvrir une brèche entre les portes fermées de nos esprits épuisés. C’est mettre la main sur la poignée de notre “fenêtre d’influence”.

Embrasser l’incertitude alors que toute notre culture, tous nos biais mentaux et émotionnels, aspirent à la sécurité des réponses toutes faites, c’est apprivoiser une peur ancestrale, et se doter d’une force insoupçonnée.

A ceux qui “aimeraient que vous croyiez qu’il n’y a plus aucun espoir, que vous n’avez aucun pouvoir, qu’il n’y a aucune raison d’agir, et que vous ne pouvez pas gagner”, ne cédons pas nos esprits. Ce qui meurt à petit feu quand nous nous laissons décourager et convaincre que nous sommes seul.e.s et insignifiant.e.s, ce n’est pas seulement notre envie ou notre puissance d’agir : c’est notre âme collective.

Des “choix et des actions qui comptent, même si nous ne pouvons pas savoir à l’avance quand et comment” : voilà une parfaite définition du karma. Et une feuille de route pour les chemins de traverse.

Juliette de Cointet