Calme

Pendant longtemps, je n’ai pas vraiment parlé de calme dans mes cours. J’avais même une résistance quand je l’entendais évoqué comme un idéal à atteindre parce que ça serait bien en soi, intrinsèquement bon : un système nerveux perpétuellement détendu, good vibes only. Pas de vagues..

Quand on nous demande d’être calmes aujourd’hui, c’est souvent pour nous demander d’être dociles. C’est aussi trop souvent une injonction condescendante aux émotions plus que justifiées des populations oppressées. Ou l’outil magique pour nous rendre plus résilient.e.s dans un monde du travail où notre “bien-être” est sacrifié à la productivité et au rendement.

J’ai l’impression, surtout dernièrement, que nous sommes nombreux.ses dans ce cas : à y renoncer presque, à en faire notre deuil sans même nous en rendre compte.

Parce que comment parler de calme aux activistes bafoué.e.s et méprisé.e.s, comment parler de calme face à l’inaction pour le climat. Comment parler de calme devant Gaza.

Et pourtant.

Nous n’avons jamais eu plus besoin de calme que maintenant, au milieu des montagnes russes émotionnelles que nous vivons collectivement.

Si un homme, face au flux puissant et agité d’une rivière, se laisse emporter par le courant - comment peut-il aider les autres à traverser ?

Buddha - Nava Sutta

Aujourd’hui, nous avons besoin nous redonner le droit, les moyens, et la noblesse d’un calme qui n’est ni une soumission, ni un privilège, ni de l’indifférence.

Alors pour celleux qui en auraient besoin quand prétendre au calme peut sembler indécent, rappelons nous que

notre calme n’est pas une anesthésie

notre calme n’est pas un échappatoire

notre calme n’est pas égoïste

notre calme n’est pas un refoulement de notre stress ou une négation de nos émotions.

Notre calme est une RÉPONSE et une consolation.

C’est un refuge à cultiver et un endroit où revenir.

C’est notre capacité à retrouver l’équilibre quand notre réactivité s’emballe, et à choisir de ne pas nous laisser enfermer dans une spirale épuisante et destructrice. C’est notre capacité à rester engagé.e.s et empathiques dans ce monde sans nous consumer à petit feu.

Notre calme est militant quand il nous donne les moyens d’être au monde tel qu’il est et de continuer à l’aimer et à le servir - même s’il nous déçoit, même s’il nous enrage, même s’il nous fait douter.

Au centre de notre boussole qui s’agite si souvent entre la colère, le désespoir ou le cynisme,

NOTRE CALME EST NOTRE PUISSANCE.

Un des piliers de la méditation est samatha :

la pratique consciente et quotidienne de la quiétude,

la recherche du calme mental,

l’observation et la compréhension de nos mécanismes, pour trouver d’autres réponses que les courants souvent irrésistibles de nos habitudes, pulsions et réactions.

C’est l’inverse de l’impulsivité et de la précipitation. C’est l’apprentissage quotidien d’un calme qui ne dépend pas des circonstances extérieures.

Cette force tranquille est bien plus que buzz post yoga qui nous habite à la sortie d’un cours.

Nous ne la recevons pas de l’extérieur, elle ne nous arrive pas par chance ou par hasard, car elle n’oublie rien des souffrances du monde. C’est une décision convoquée dans notre corps et dans notre esprit, le résultat de notre pratique, comme un sillon creusé jour après jour : elle se cultive et elle se gagne.

C’est notre souveraineté face aux voix qui nous promettent l’usure à coup sûr, si nous nous obstinons à nous soucier du monde, de la justice et du vivant.

Quand nous sommes irrémédiablement soumis à nos courants, nous nous replions dans notre bulle individuelle, loins d’un monde qui nous semble hostile et impraticable, en espérant y trouver l’apaisement que nous cherchons. Nous privilégions l’entre-soi, car c’est le seul moyen que nous avons de trouver des « safe spaces » dans lesquels nous sentir ancré.e.s et en sécurité.

Notre calme nous rend à nos communautés - les plus larges et les plus diverses.

Il nous rend à un monde où les différences peuvent coexister et dialoguer.

Et c’est sans doute le rôle le plus important qu’il peut jouer aujourd’hui.

Juliette de Cointet