Chaque grain de poussière
Quand vous lavez le riz ou les légumes, faites le de vos propres mains, dans l’intimité de votre propre regard, avec diligence et conscience, sans que votre attention ne se relâche un seul instant.
Ne soyez pas soigneux pour une chose et diligent pour une autre. Faites en sorte que pas une seule goutte de l’océan des mérites ne vous échappe. Ne manquez pas l’occasion d’ajouter votre grain de poussière à la montagne des actes bénéfiques.
Dōgen
Quand Dôgen quitta son Japon natal pour la Chine, il y fit une rencontre déterminante : le vieux cuisinier d’un temple zen.Il en tira un texte désormais classique, écrit en 1237 : Instructions au cuisinier zen
A la différence de ses précédents maîtres qui mettaient l’accent sur l’intensité et les techniques de la pratique formelle, ce modeste moine affirmait que la Voie était juste là :
dans son travail de cuisinier,
dans chaque instant de sa vie,
dans chacune de ses tâches les plus banales et quotidiennes,
dans chacune de ses interactions.
Cette non-séparation entre la pratique et la vie, entre le zen et le monde dans lequel nos routes se déploient, sont au centre de l’enseignement de Dôgen :
la vérité de notre présence, l’éveil, la compréhension, surgissent moment après moment - à chaque instant où nous rencontrons pleinement, véritablement nos vies.
Quand choisissons nous d’être présent.e.s - ou absent.e.s ?
A qui et à quoi donnons nous nos mains et notre regard ?
Nous le savons : il est plus facile d’être non-violent.e sur un tapis de yoga qu’au volant d’une voiture, et d’être diligent.e.s là où vont nos préférences. Notre diligence et notre conscience sont sélectives. Pourtant le moment présent - ce moment (même banal, contraignant, frustrant ...) - est le seul où nous pouvons faire l’expérience de nos vies et rencontrer le monde.
Ces mots disent : soyez dans vos vies.
Donnez vos mains, donnez votre regard.
Chaque grain de poussière compte.
Pas de grossier, pas de noble. Pas de pur, pas d’impur. Tous les aspects de notre vie, toutes les formes du vivant, méritent notre révérence.
Ces mots n’ont rien perdu de leur radicalité et de leur puissance politique, dans des vies et un monde plus polarisés que jamais.
Le yoga et la méditation sont un coup de projecteur sur nos présences et nos absences.
Au fil des sensations et des respirations, nous apprenons à les reconnaître. Nous nous entraînons à cette “attention qui ne se relâche pas un instant”. Être dans nos corps, c’est déjà - un peu plus, un peu mieux - être dans nos vies.
Ces mots sont aussi un rappel urgent à nos communautés de pratique et à nos bulles de bonne conscience : ce n’est pas parce que nous avons “fait notre pratique” que nous incarnons notre intention. Ce n’est pas parce que nous sommes une partie du monde que balayer le pas de notre porte suffit.
C’est précisément parce que nous sommes une partie du monde que ce qui importe vraiment, c’est notre attitude et notre participation dans ce monde.
Nous sommes tou.te.s des activistes d’une manière ou d’une autre, parce que chacune de nos actions et chacune de nos inactions a un impact.
Rebecca Solnit
Dans cette vie où tout compte, notre mieux varie, mais notre intention reste. Nos mieux se relaient, dans la toile infinie que nous formons.
Ces mots ne nous parlent pas d’héroïsme - ils nous racontent un monde où notre présence et notre attention pourraient déjà beaucoup, si nous les lui donnions vraiment.
Ce sont nos milliards de gouttes qui remplissent l’océan des mérites.
Ce sont nos milliards de grains de poussière qui forment la montagne des actes bénéfiques.
Ceci est un encouragement : dans cette vie où tout compte, rien n’est jamais vain.