La ligne fine
« Les choses sont parfaites telles qu’elles sont.… Mais bien sûr, il y a toujours la place pour un peu de progrès. » Shunryu Suzuki
C’est le paradoxe du Zen que d’accepter radicalement la vie telle qu’elle est dans l’instant, tout en s’y engageant dans le sens d’un « progrès » toujours plus grand au service des êtres et du monde.
Le monde n’est il pas tout sauf parfait La marge de progrès, surtout aujourd’hui, n’est-elle pas vertigineuse ?
J’imagine Suzuki dire ces mots avec un sourire en coin - moitié bienveillant, moitié malicieux. Les koans et anecdotes Zen sont pleins de ces élèves pressés de progresser « maintenant », d’être illuminés là, tout de suite - d’être libérés de cette oscillation qui nous berce certains jours, et nous fait tanguer les autres.
Chacun.e de nous voyage entre ces deux extrêmes. Ne jamais nous remettre en question, par peur d’ouvrir la boîte de Pandore, de perdre notre peu de certitudes, de notre impuissance à faire « progresser » quoi que ce soit. Ou l’incessante sensation de manque, de jamais assez bien compris, de trop peu mérité, d’un vide infini à combler dans une fuite en avant qui ne se vit que rarement au présent.
Tout cela est sans doute vrai et faux à la fois.
Notre pratique de méditation consiste, pour beaucoup, à nous rendre suffisamment spacieux.ses pour apprendre à tenir et à aimer ce paradoxe. Pour laisser exister la nuance, pour en laisser émerger ce qui peut, pour faire se rencontrer les contraires de nos vies tout en gardant le cap de nos valeurs de coeur. Pour résister à une culture qui n’aime pas les zones de gris - et qui a une tout autre idée du progrès.
Avec quelle tendresse se regardera-t-on dans 20 ans ?
Sans doute avons-nous besoin de redéfinir ce que nous appelons progrès: une compréhension profonde qui avance dans le sens de la vie, et qui ne pourra jamais cohabiter avec la guerre des égos, la destruction du vivant ou le rapport de force.
Parfait.e.s parce que perfectibles, nous marchons ensemble sur cette ligne fine.