La joie nous appartient

A la (re)conquête de l'appréciation

« S’arrêter pour apprécier le miracle que sont nos vies est en soi un acte politiquement subversif dans un monde qui nous apprend que toute satisfaction doit se mériter. » Joanna Macy

On parle pas mal de gratitude et de positivé dans les milieux bien-être et dev perso: comme des états à atteindre, des injonctions mindset, ou des remèdes magiques à nos frustrations.

A l'inverse de ces méthodes individualistes, si on se ré-appropriait l'appréciation et la joie pour faire de nos corps des champs de possibles ? Si on les cultivait en restant résolument tourné.e.s vers les autres et vers le monde ?

En yoga, santosha, l'appréciation ou le contentement, est un des 5 niyama (prescriptions éthiques). En bouddhisme, on place au coeur des intentions de pratique metta (la bienveillance inconditionnelle), ou encore mudita (la joie sympathisante). Dans ces philosophies, l’appréciation est une PRATIQUE: un entraînement quotidien du coeur, pour notre bien-être individuel ET collectif.

Dans un monde où nos modes par défaut nous encouragent à la peur et au repli égotique et sécuritaire, l'appréciation peut devenir un antidote, une intention collective qui commence dans nos corps.

Spinoza parlait d'une joie qui nourrit notre puissance d'agir et défie nos servitudes. Qui nous donne la vitalité d'être moins dociles. Le contentement de santosha n’est pas une résignation: cultiver l'appréciation pour les conditions de notre vie (quand nous avons la chance d'évoluer dans un contexte qui le permet), c’est aller vers un sentiment d’autosuffisance salutaire face à notre tendance au ressentiment et à l’insatisfaction permanente.

C’ est aussi redécouvrir la simplicité, et devenir les mauvais.e.s élèves d'une société de consommation qui compte sur notre sensation de manque pour accumuler sa « richesse ».

Apprendre à s'installer avec plaisir et confiance dans nos corps et dans le moment présent tel qu’ils sont, c’est aussi reconquérir la lenteur. C'est apprendre à goûter le repos pleinement, qu'il soit « mérité » ou non. C'est revendiquer l'oisiveté dans une société productiviste et ouvrir une brêche dans notre expérience, où on s’autorise à se re-poser la question de nos besoins et de nos droits les plus fondamentaux.

C'est faire un pas de côté, même furtif, sur le chemin tout tracé de la rat race.

Si notre stress nous enferme dans une spirale d'isolement, d'impuissance et d’égocentrisme, l'expérience viscérale de l’appréciation influe tout autant notre perception de la vie: les gens semblent moins loin, le monde moins hostile, les possibles bourgeonnent.

Notre corps et notre attention sont un champ d'exploration vers d'autres manières d'être à soi et d'être à l'autre, plus douces et plus inclusives - où nous pouvons commencer à reprendre espoir. En cela, notre pratique peut être un premier geste de résistance contre les discours fatalistes qui découragent l'action engagée.

L'appréciation et la bienveillance, c’est aussi la pratique du self love, qui, loin d'être narcissique, peut être révolutionnaire quand elle se vit dans des corps exclus ou désignés non conformes.

Cultiver consciemment la joie et de l’appréciation nous donne le pouvoir de raconter une autre histoire: apprendre à préférer un brin d'herbe entre les pavés à un sac dernier cri, voir le miracle de la beauté du monde dans sa forme la plus simple, c’est refuser le diktat de la rentabilité.

L'espace d'un instant, d'une respiration, il n’y a rien à rajouter, rien à produire: « ça » suffit.

Au quotidien :

  • trouvez des moments réguliers pour prioriser l’ appréciation dans votre pratique de yoga ou de méditation, en préférant le plaisir à la recherche de performance

  • observez comment vous interagissez avec le monde: pouvez vous vous exercer à la même chose dans des moments et interactions simples et ordinaires ?

  • quand vous désirez absolument acquérir quelque chose: est ce que vous répondez à un manque qui semble sans cesse revenir ? ou est ce que c’est joyeux et agréable ?

Pour aller plus loin :

Pleasure Activism, the Politics of Feeling Good, adrienne maree brown

Une révolution intérieure, Gloria Steineim

Article sur la joie chez Spinoza de Frédéric Manzini