L'éthique de notre yoga
Ces derniers temps, j'ai ressenti un grand décalage entre le cadre protégé de ma pratique et l'état du monde et de la société.
Ce décalage m'a poussée à interroger mon rapport à ma pratique, en tant qu'élève et en tant que prof. Les pratiques de bien-être et de yoga se sont banalisées dans le milieu privilégié dont j'ai la chance de faire partie... Mais en dehors de la petite bulle de calme que sont les studios, que se passe-t-il quand nous ressortons dans la ville ?
Autour de nous, les inégalités se creusent, le lien social se disloque, et la conscience du bien commun s'étiole au profit d'un individualisme de survie dans un environnement menacé. Comment notre yoga peut-il nous aider à construire et à habiter un monde plus juste, plus ouvert et plus généreux ? Cette question doit rester ouverte si nous voulons une pratique consciente, et surtout, bénéfique: pour nous-mêmes bien sûr, mais aussi et surtout pour autrui. Au-delà du self care, mais on oublie souvent que le yoga est une éthique: ses concepts sont les fondements de la philosophie qui l'anime.
Sa philosophie d'attention, d'intégrité et de non violence se pratique et s’explore par le corps.
Et en tant que questionnement somatique, notre yoga peut résonner bien au-delà de nos tapis.
Notre corps est plus qu'un outil de bien-être. Il est une porte d'entrée tangible et constamment accessible pour explorer empiriquement ces concepts, ici et maintenant. En cela, notre yoga nous fait l'immense cadeau d'être une philosophie en action. Ce sont ces questions qui m’intéressent:
Qu'est ce qu'on pratique quand on ouvre la porte du corps pour ouvrir celle de notre attention ? Qu'est ce qu'on cultive quand on cultive notre présence, notre écoute et notre posture, à tous les sens du terme ? Comment, dans le mouvement ou dans l'immobilité, peut-on explorer notre relation à nous mêmes, à autrui et à notre environnement ?
Si notre yoga ne nous aide pas à être de meilleur.e.s partenaires, parents, enfants, citoyen.ne.s, il est tristement séparé du monde qui nous entoure.
En l'utilisant uniquement comme une pratique de détente, un moyen de se réfugier dans une bulle (de confort ou de performance), nous ne questionnons jamais nos certitudes ni nos biais cognitifs et éthiques. C’est réducteur et surtout, c’est potentiellement néfaste. Et du côté de l'enseignement "spirituel", sous couvert de sagesse ancestrale, les dérives sont nombreuses, entre complotisme, yoga-coaching, pensée magique, et raccourcis new age: je constate beaucoup (trop) de détournements simplistes ou égotiques de cette philosophie. Face à des élèves qui n'ont pas les clés d'une pensée critique à ce sujet.
Dans l'éthique du yoga, il y a pourtant des garde fous salutaires contre nos inclinaisons égotiques, nos tentations identitaires, et notre tendance constante à empiéter sur notre place dans le monde. Cela tombe bien, car nous avons urgemment besoin d’interroger la direction de notre effort, de notre attention, de notre attitude les un.e.s avec les autres. Le yoga a toute sa place dans cette conversation. Sa philosophie du karma et du juste engagement nous sort du personnel et nous rappelle au collectif.
Quand j'ai commencé le yoga, je ne voulais pas entendre parler de philo. Je venais pour y prendre ce qui pouvait me servir, puis je repartais vers ma vie et mes journées sans me poser de questions. Puis j'ai eu la chance de rencontrer des profs qui ont mis en mots et en relation mon corps avec celui des autres, et qui m'ont appris à préférer les questions ouvertes aux réponses toutes faites. Je leur en suis éternellement reconnaissante.
J'espère créer ici un espace de partage, d'encouragement et d'inspiration, et vous faire profiter des lectures, des recherches et des réflexions qui m'ont inspirée au fil de ma pratique et de mon enseignement.